DEFI

HumanoïdePrimal

– Certains prétendent que vous êtes HumanoïdePrimal !

A chaque conférence de presse, une nouvelle hypothèse, pressante d’espoir d’une révélation sur l’identité de mon protégé, surgissait. Comme à chaque fois, j’y répondis par :

– Nous sommes tous HumanoïdePrimal.

Suite à cette récurrente réponse, certains journalistes imaginaient que HumanoïdePrimal était un chanteur ou une chanteuse différent à chaque nouvel album.

– C’est pourquoi HumanoïdePrimal apparaît masqué, commentait le journaliste du magazine anglais Mojo, inventeur de cette théorie.
– Avouez qu’il n’existe tout simplement pas !
– Qui était alors sur la scène dans les catacombes de Rome, l’été dernier ?, rétorquai-je.
– Un hologramme ! Comme Kurt Cobain, Jim Morrison ou Ian Curtis ! Ainsi que les 20 autres rockstars, toutes disparues ! me répliqua, avec fermeté, Brendan Klinkenberg du Rolling Stone Magazine.
– HumanoïdePrimal est aussi apparu en hologramme, car il a voulu rappeler l’immortalité qu’on acquiert lorsqu’on crée. Thème de l’album : « CreAction ».
-… Et hop, un coup de pub ! Ce manager est vraiment un pro !, dit Emira, la chargée de communication de la chaîne YouTube Enjoy The Noise, à son collègue Shakeyourpulp.
-… et on risque pas d’oublier la fin de ce concert !, rajouta-t-il. Projeter en 3D, sur un cube de verre de 10 m, Charlie Chaplin grimé en Hitler, c’était inattendu et impressionnant ! « The Final Speech from The Great Dictator », version 2000, a atomisé le public. Les expressions : « Nous sommes trop connectés ! Nous ne ressentons plus assez ! »et « Le net nous apporte l’abondance mais nous laisse dans l’insatisfaction ! », ont littéralement envahi les murs virtuels de toute la planète ! De par le monde, des centaines de tagueurs ont bombé des magasins avec les mots : « Ne te consomme plus, mais consume ta vie ! », directement tirés de la chanson « Human B or not? ». La fin du concert a été un océan de duos de bras levés, formant la lettre H, mima Shakeyourpulp.

– Si HumanoïdePrimal existe réellement en tant que personne, pourquoi sa voix est elle faite de synthétiseurs? relança First Look Entertainment magazine.

– Comme Daft Punk, James Blake ou Hatsune Miku au Japon, contre-attaquai-je, amusé par les deux bras, tendus à la verticale, de Shakeyourpulp, assis au fond de la salle.

-… et VIOLenceBrut, continua le journaliste people, l’espoir d’un scandale animant les traits de son visage mal rasé.

Un silence explosa dans la pièce. VIOLenceBrut était le négatif de HumanoïdePrimal. Apparu sur la toile depuis six mois, le groupe était surtout célèbre pour ses débordements agressifs et ses déclarations haineuses. Leur premier concert, « U. R. Beest! », débuta par un combat d’ultimate fighting ! La lutte dura le temps du morceau « Ultimate Animal » : 3 minutes 30 ! Pour stimuler l’agressivité, 20 % de la recette avaient été promis au vainqueur. Pendant le concert, sur les rythmes acharnés de « Kill Spider », le leader brisa, à coups de masse, des dizaines de tablettes et d’i-Phone nouvelle génération. Des pogos tournèrent en bagarres générales, alimentées par les shoots d’alcool offerts par les sponsors. « Orgie ! », « Délire XXX », « Communion tribale ! », « Bestial anarchy! », étaient les qualificatifs les plus utilisés pour commenter les performances de VIOLenceBrut qui débutaient leurs prestations par le salut nazi accompagné d’un doigt d’honneur de la main gauche posée sur le cœur.

Lors de « Suck Humanity, suck! », mix electro-hard sur fond d’orgasmes et d’injures, le leader du groupe, Lucius, apparut sur la scène, nu, un gigantesque sexe placé entre ses jambes. A l’aide de celui-ci, il répandit de la cocaïne sur le public. Après 2 heures d’une démence musicale débridée, sur fond de projections porno, Lucius se hissa sur un plateau situé au bout d’un bras mécanique. À la foule survoltée par les drums electro-hard, il lança des milliers de billets de banque. Un monticule de dollars sortit ensuite de la scène. Il y déversa un jerrican d’essence et y mit le feu en jetant son joint au beau milieu. A l’aide d’un lance flamme, il brula les murs de la salle, sous les yeux des fans en extase, sauvés par les jets des extincteurs suspendus au plafond. La performance finit en émeute : les gens se battaient dans la mousse pour arracher les précieux billets verts.
VIOLenceBrut monta vite au top des charts anglais et américain. Le groupe scandait le retour à une bestialité originelle de l’Homme, étouffée par la société. Lors de leur dernier concert, le hit « Welcome LUCI us FER » fut accompagné d’immenses fumigènes en forme de pétard qui enfumèrent la salle.

– Dans une odeur de joint, le staff distribua des barrettes de cannabis comme des snacks , indiqua le journaliste de Billboard Magazine dans son article titré « Crazy Devil Lucius ».

Sous la forme d’une pluie tombée du plafond, des ecstasys furent ensuite distribuées. Juste avant, le timbre de fumeur cancéreux, accompagné d’érotiques voix féminines, ordonna à ses fans d’ouvrir grand la « gueule »,

-… pour recevoir les osties de papa Lucius. Régalez-vous mes enfants !, avaient conclu les intonations électro-métalliques, sous un masque de Mickey chaussé de cornes du diable.

On dénombra 3 morts par overdose. Les plaintes fusèrent. L’identité de Lucius Devel résistait aux pressions juridiques et médiatiques. Qui était la star du Black Metal Electro ? Un truand ? Un fanatique ? Un fou ? Un des experts du music business, Gilles Snowcat, expliquait ces débordements, dans son livre « The Rockstar Paradox ».

– C’est la marque d’une vrai rockstar ! Mais, prévenait-il dans sa rubrique  » Reversal (you’ve been warned…) », c’est peut-être aussi une manipulation des majors du disque : fabriquer un négatif à HumanoïdePrimal, comme du temps des Rolling Stones versus les Beatles ou Michael Jackson versus Prince. Vieille stratégie marketing.

L’interprète de la chanson « Mr Crown Prosecutor », était le premier à avoir imaginé que HumanoïdePrimal pouvait être un robot du type Asimo de la société Honda Corporation.

– D’où Humanoïde dans son nom d’artiste, argumentait-il sur sa page.

Je faillis tomber dans le piège de l’explication qui aurait vite tourné à la justification pour finir en baching médiatique.

– Je vais laisser HumanoïdePrimal vous répondre, annonçai-je.

Jamais la star n’était apparue en interview. A travers la pièce bondée, l’étonnement des spécialistes fut tangible. Une seconde passa, muette, puis les GSM des professionnels résonnèrent en une cacophonie anarchique. L’entretien devint Skypique. Derrière moi, un mini-beamer projeta sur le mur le visage masqué de HumanoïdePrimal. À mon grand soulagement, les verres fumés des focales rondes des caméras m’abandonnèrent.

– Bonsoir HumanPrimals, dit une voix électronique, ténébreuse comme celle de Kavinsky dans Nightcall.

Sur le haut mur blanc de la salle de presse, devenu écran de fortune, les smileys, likes et autres émoticônes affluèrent de toute la planète. L’échange était en life sur la toile.

– Un sacré buzz d’ici moins d’une minute, hein, Julian, rajouta l’électronique timbre de la rockstar, à l’attention du jeune reporter de First Look Entertainment magazine.

Celui-ci tenta de réitérer son attaque. Elle se perdit dans le torrent des questions des autres journalistes people. Le masque d’ours blanc rugit. La réalité sonore terrorisa l’assemblée. De par le monde, les millions d’internautes rugirent en réponse. Griffe de la rockstar, chacun de ses concerts débutait par le cri d’un animal en voie d’extinction, repris en cohorte par le public.

– Mes HumanPrimals, à quel magazine dois-je répondre ?

La participation était la marque de fabrique de l’artiste, comme lors de sa représentation dans le métro de Londres où à l’entrée du noir tunnel, les fans reçurent un masque chirurgical blanc en échange du ticket de métro utilisé. Inscrit au stiff indélébile, de la main de l’artiste, le logo MO2, symbole de la chanson « Minute Oxygen », customisait l’inhabituel vêtement. Lors du passage de la chanson, chacun se prit en selfie portant le masque blanc griffé du logo. HumanoïdePrimal fit de même. Très exactement à 23h40, 23h50 et 00h00, les plus de 150.000 selfies furent envoyés aux gouvernements chinois, américain et indien, faisant ainsi bugger leur net service sous le poids des data. « Merveilleux coup de com », cinglèrent les mouvements écologiques. « Vraie inquiétude pour la Terre », défendirent les admirateurs. Cohérante, en compagnie de ses fans, l’idole emprunta incognito le métro londonien, devenu, le temps d’une nuit, l’emblème du partage et de la lutte contre la pollution. Tournée dans le métro par HumanoïdePrimal, la vidéo fut projetée sur les immenses parois convexes du tunnel.

– J’ai une surprise pour vous mes HumanPrimals, introduisit la séquence.

Durant toute la projection, les cris et sifflements de joie résonnèrent dans l’antre du sombre tunnel. Des immenses urnes en forme de Terre recueillirent les tickets du premier transport souterrain du monde. Cette nuit, ils étaient devenus le précieux sésame pour assister au show. Un écran géant afficha leur nombre et le convertit en carbone économisé. Pour clôturer l’incroyable « E.vent », les tickets de transport furent recyclés en confettis bicolores et la scène devint accessible à tous. Partage, une fois de plus.

Sur l’écran-mur, Burn ! magazine japonais destiné aux fans de heavy metal, récolta le plus de suffrages.

– こにしわみきよさん、お元気ですか。

– Et hop, y switche en japonais ! Et y connaît le prénom de la journaliste ! Ses groupies du pays du Soleil Levant doivent être hystériques en ce moment ! admira la blogueuse vietnamienne Thuy Betonamu.

La règle des trois questions fut respectée par la reporter nipponne. HumanoïdePrimal y répondit en japonais, immédiatement sous-titré en anglais sur l’écran improvisé du mur de la salle de presse.

– HumanoïdePrimal san, vous avez utilisé les cris d’animaux et l’atmosphère acoustique de la forêt amazonienne pour composer votre dernier opus « Save Humanity Nature ».
– « Save the climate, it’s save the Humanity », murmura la blogueuse Thuy Betonamu, le refrain de la chanson.
– Un robot qui veut sauver l’Homme !, lui répliqua à l’oreille Gilles Snowcat.
– Votre ultime représentation a eu pour scène l’Arctique, continua Mikyo san.

A l’écran, les net-groupies firent défiler des photos et vidéos-souvenirs. L’iceberg géant, haut de cinquante mètres, sculpté en amphithéâtre, telle une arène surréaliste, avec au centre une statue de glace d’un ours blanc de dix mètres, dressé sur ses pattes arrière, rugissant un cri silencieux. Tout autour, les quatre immenses barges semi-circulaires à fleur d’eau sous le poids et les agitations du public, vêtu de tenues de ski, fluorescentes dans la nuit, enthousiaste malgré la température inférieure à zéro.
Le début du concert avec, comme à chaque fois, pour réclamer leur idole, la cacophonie des sonneries des GSM des fans. Affiché sur un écran iceberg, le volume sonore qui dépasse enfin les 110 décibels, exigence de la star pour la faire venir sur la scène. Alors, sous la lumière d’un projecteur, pris dans un glaçon translucide bleu pâle, vêtu de peaux d’animaux, tel un Homo Sapiens de la Préhistoire, HumanoïdePrimal, visage recouvert d’une tête de loup sibérien apparut. Sous l’effet des puissantes vibrations des guitares électriques, la gangue de glace se fissure et libère HumanoïdePrimal. Le show, démesuré : laser projeté dans le ciel, fond noir pailleté d’étoiles ; les gigantesques icebergs bleu vitreux, utilisés comme surface de projection, le public agitant des bâtons phosphorescents formant une immense lettre H. L’instant inattendu : une baleine venue nager entre la scène iceberg et les barges des fans. Le silence. L’immense queue qui se dresse, s’agite, semblant dire au revoir et disparaît dans les profondeurs océaniques, glacées. L’explosion de joie du public brisant le silence quasi religieux de cette rencontre inattendue. La fin du concert : un sous-marin qui emporte HumanoïdePrimal et ses musiciens dans l’eau cristalline, sous les accords de musiciens inuits invités. Ultime image: dérivant dans la nuit polaire traversée d’aurores boréales, l’iceberg-scène, seul, abandonné au gré des ondulations des vagues noires frappant sur ses flancs blancs, dissout par l’océan, évocation de la fonte des glaces millénaires. Prouesses techniques et artistiques.

– N’avez-vous pas atteint l’ultime méga concert possible sur la planète ?, questionna la journaliste japonaise.
– Oui, répondit laconiquement le visage d’ours. Et je profite de l’occasion pour vous annoncer que c’est aussi ma dernière interview.

L’annonce figea l’activité sur la toile et dans la salle de conférence. Je vis que la jeune Japonaise n’avait plus qu’une envie : savoir si HumanoïdePrimal arrêtait sa carrière. Mais, respectueuse de sa troisième et dernière question, elle se retint et s’inclina.

– あらがとございますウマのいてリマエさん。

La brûlante question envahit l’écran-mur ainsi que l’air de la pièce. Un rugissement calma l’assemblée, mais pas les internautes fans.

– Thierry Walker, mon manager, a instauré un deal avec vous : laisser les trois dernières questions de cette conférence pour la nouvelle génération.

Comme le calme le faisait dans la pièce, Aya sentit la gêne la submerger. Elle eut l’impression que des dizaines de paires d’yeux immenses se braquaient sur elle.

– Hello Aya, are you O.-K. ?, s’inquiéta la voix artificielle de HumanoïdePrimal.

Face à son idole, la Namibienne de la tribu Himba se sentit paralysée. Parmi les cinquantaines de questions listées par ses camarades de classe, elle avait dû en sélectionner trois. Mais avec le stress, elles disparurent de son esprit comme le vent le fait avec le sable des dunes. Perdue, elle fixa l’immense tête d’ours blanc, agrandie par un zoom. Elle se souvint alors de sa joie lorsqu’elle lut le mail l’invitant à la conférence. Elle, une petit Namibienne de 14 ans, à peine plus haute que Wantou le plus fort boeuf de son village d’Otjikandero, avait été choisie parmi les millions de fans.

– HumanoïdePrimal, êtes-vous une machine ? lâcha sa petite bouche.

Sa langue avait encore parlé plus vite que sa pensée. Sa mère lui en faisait toujours le reproche, suivi des éclats de rire tonitruant de son père adoptif.

– Qu’en penses-tu Aya ? demanda la rockstar.
– Moi j’aime ce que vous faites, que vous soyez un robot ou un humain, j’m’en fiche !

Aya voulut mordre sa langue rebelle à sa volonté. Elle devait être envoûtée ou possédée par un démon ! Sous son masque d’ours des grands froids, HumanoïdePrimal sourit. La spontanéité de l’adolescente africaine venait de balayer l’interrogation qui faisait les gros titres des magazines people depuis deux mois.

– Tu es la plus sage de tous, dit-il à la Namibienne.
– Oh ça, j’crois pas. Maman ne serait sûrement pas d’accord avec vous ! Elle dit toujours que je parle trop!

Sous les rires de l’assemblée, Aya réussit enfin à maîtriser l’impertinente langue.

– Ici, tu peux tout dire, annonça HumanoïdePrimal. Quelle est ta deuxième question ?

Aya sortit un papier soigneusement plié en quatre. Nerveusement, elle lut :

– Où s…e dé…. dérou…lera…votre…pro…chain…concert ?

Comme lors d’un match de tennis, les regards se tournèrent vers HumanoïdePrimal.

– Je te donne un indice, Aya, la réponse se trouve dans le titre de mon nouvel album : « Outside Earth ».

Comme à l’école, lorsqu’elle devait réfléchir, son index tapota ses lèvres puis partit gratter la racine de ses cheveux drus.

-… la Lune ?, lâcha-t-elle sans plus approfondir sa réponse.

Des petits rires moquèrent la naïveté de la jeune fille.

– Exact ! Et comme tu es la première à l’avoir découvert, je te promets de t’écrire une musique… Je l’appelerai… « Electro Black Poetry ».

L’effarement gomma les sourires moqueurs des visages des journalistes internationaux.

– Au revoir ma petit Aya. Comme promis je t’écrirai une chanson. Good bye my HumanPrimal. Be Human : be Creative ! conclut HumanoïdePrimal de sa phrase cultissime de chaque fin de concert.

Tandis qu’Aya n’en revenait pas du cadeau que lui offrait son idole, s’afficha sur l’écran-mur, face à elle :

– Mon prochain concert sera un direct depuis la Lune. J’aurai de petites caméras avec moi, les HumanPrimals pourront ainsi profiter comme il faut du spectacle. Les messages envoyés par les internautes seront renvoyés dans l’univers, avec l’espoir d’être entendus par des intelligences non humaines. Ma volonté est de rappeler qu’au-delà de toute forme de clivage : race, nationalité, religion ou toute autre forme de division, nous sommes avant tout des Humains. « U.M. phone E.T. » est, dès cet instant, en téléchargement gratuit sur le net.

L’annonce sonna les journalistes internationaux et mit un terme à la conférence de presse.

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